MOD’SPE tend à conserver un lien avec ses Alumni pour partager leurs expériences avec les nouvelles générations de talents de la mode. Découvrez le portrait de Fatimata SY, une ancienne étudiante de la 3ème promotion de MOD’SPE.
Vous êtes une alumni mais également une intervenante chez MOD’SPE. Qu’enseignez-vous aux étudiants ?
Je suis une ancienne étudiante de MOD’SPE et cela fait maintenant quinze ans que j’interviens à MOD’SPE dans plusieurs modules. Je m’occupe du projet Green Fashion Business qui a été lancé l’année dernière.. C’est la suite logique notre ancien module de processus de collection que nous avons transformé et développé, pour l’export notamment, et en intégrant une approche du green business. C’est un projet d’études qui concerne les MBA.
Ensuite, j’interviens régulièrement sur les capsules programmes avec les étudiants Américains par exemple. C’est un programme collaboratif à plusieurs intervenants et nous travaillons à faire un module sur mesure pour les étudiants étrangers qui doivent découvrir les quartiers emblématiques de Paris. Je fais souvent un petit focus sur l’histoire de la haute couture à nos jours et comment ces grandes maisons historiques se sont développées, pour certaines, en marques de luxe.
D’autres modules sont aussi proposés avec mon recours, tels que les Actualités de la mode pour les étudiants en 3ème année de Bachelor Fashion Business et un format plus complexe avec les FCOM1. J’enseigne sur le projet Free Lance & Startup. Ces cours permettent aux étudiants d’avoir les bases de départ pour appréhender leur création d’entreprise (démarrage administratif et fiscal). J’essaye de toujours intégrer une partie en anglais pour mes étudiants car cela leur permet de se former au vocabulaire technique pour le monde du travail.
Quel lien avez-vous avec l’école MOD’SPE et quels souvenirs gardez-vous de vos années en tant qu’étudiante ?
Je suis une diplômée de MOD’SPE de la fin des années 90. J’ai toujours gardé un lien avec MOD’SPE en recrutant des stagiaire et même une alternante il y a 3 ans. Je considère MOD’SPE comme une Ecole à taille humaine et j’ai gardé un véritable affect pour l’Ecole qui se manifeste par mon lien avec les équipes et les intervenants.
Ce que j’ai adoré lors de mes années d’étude chez MOD’SPE, c’est que toute la partie style a été faite en partenariat avec la Chambre Syndicale. A l’époque, elle se trouvait rue Saint-Roch. La seconde année, nous avons été reçu aux Gobelins pour les cours de stylisme. Et MOD’SPE ayant un partenariat couture avec Marie-Noëlle Boutin-Arnaud (qui était ma professeure et qui est devenue une collègue par la suite), nous étions amenés à étudier avec elle hors les murs pour la création de patron et montage d’une chemise par exemple. J’ai aimé le fait de sortir de l’école pour certains cours qui étaient spécialisés. C’est encore le cas actuellement pour une partie des cours de créations qui se font chez Elisa Lemonnier. Nous avons du matériel de création à l’école depuis l’ouverture de la filière création cette année, mais certains cours nécessitent du matériel spécifique. Et pour ma part, j’essaie d’introduire le maximum d’études de cas pratiques en extérieur dans mes modules.
MOD’SPE à l’époque était uniquement spécialisée dans la formation business de chef de produit mais nous n’étions pas statiques en interne, à suivre des cours théoriques. Il y’avait beaucoup de pratique et de visites en extérieur, comme aujourd’hui. Ce que j’aimais c’était de pouvoir toucher les matières, dessiner, etc. Quand on est chef de produit, on est amené à travailler avec des stylistes en studio ou avec les modélistes de l’atelier, développer et essayer des prototypes, participer à des réunions commerciales ou de presse… en plus de la partie coûts et production bien sûr. Je trouvais génial la possibilité d’avoir une approche pratique. Selon moi, on ne peut pas vraiment travailler ou connaître le produit si on ne visualise pas toutes les étapes de la création à la vente du produit.
Quel est votre parcours professionnel en dehors de vos cours chez MOD’SPE ?
Je suis entrepreneuse, et j’ai créé ma structure il y a 15 ans. Elle a évolué au fil des années ; je créais d’abord des collections en petite série… Puis, rapidement j’ai basculé sur un autre format de collections, que l’on appelle aujourd’hui l’up-cycling ; à l’époque, on ne lui donnait pas ce nom-là.
J’ai ensuite développé une approche complémentaire à partir de chutes de vêtements que je transformais, principalement le jean. J’aimais déjà cette matière, j’avais envie de la travailler, et j’avais conscience que c’était un article surproduit. On parlait déjà de pollution à cause de toutes les étapes de production du jean et de leurs effets sur les ouvriers (sablage, délavage…).
Ayant par ailleurs une formation de couturière, j’ai parallèlement proposé sur mesure, toujours dans cette optique de pièces uniques. Ainsi jusqu’il y a 2 ans, mes collections upcyclées et le sur mesure auprès de particuliers, étaient mon activité principale dans mon atelier boutique à Montreuil.
En 2021, j’ai pensé et travaillé au développement d’une ligne de maillots de bain grande taille et durable (made in France, in Portugal, en ECONYL®, une fibre issue de déchets plastiques sourcés en mer ou terre). Ma première collection est sortie en été 2022, c’est une activité que j’ai envie de développer en B-to-B et en série. Je reviens à mon métier d’origine avec YodiBody.
L’upcycling
Quand j’ai démarré, j’ai fait fabriquer grâce à des commandes classiques de rouleaux de tissus. Mais ma problématique en tant que jeune créatrice, c’est que je ne pouvais pas acheter plusieurs types de matières différentes dans les minimums imposés sur Première Vision par exemple. Après quelques saisons, je n’ai plus pu développer la fabrication en série, en France comme je le voulais.
C’est de là que je me suis intéressée à l’up-cycling et aux stocks dormants. Ce n’était pas un choix stratégique, mais plutôt un choix économique. J’ai travaillé dans le sens inverse ; j’ai commencé par consommer des quantités de tissus limités et exclusives (coupons, stocks dormants, fins de séries ou de stocks…) Produire avec quantités importantes, ce n’était pas viable pour des petites structures comme la mienne.
Ensuite, sont venus le goût et la réflexion de proposer des pièces uniques, de faire un inconvénient un avantage. L’envie d’avoir un vestiaire qui soit unique se faisait sentir ; cela m’a apporté une autre clientèle particulière qui avait des problématiques morphologiques. C’est ainsi que mon cheminement créatif s’est construit.
Quels sont les défis que vous avez rencontrés en tant que créatrice indépendante ?
En tant que structure artisanale, le COVID m’a énormément mise en danger et je me suis demandé : « comment moi, je pourrais continuer mon métier; de quelle façon ? » Les comportements d’achat, les problématiques de télétravail ou d’achat en ligne m’ont interpelée ; Je me suis également rendu compte que la clientèle la plus friande de Made In France est souvent étrangère… Tous ces questionnements m’ont amenée à me demander comment je pouvais me restructurer pour pérenniser mon entreprise.
Comment doit-on changer notre business model, notre distribution pour atteindre une clientèle qui est déjà là, qui consomme, mais qui a complètement changé ses modes de consommation.
Le vêtement est devenu un accessoire, et il y a un espèce de dichotomie entre l’envie de consommer de la mode de marque, du made in France et le pouvoir d’achat que l’on veut bien y attribuer.. Le luxe ou certaines marques Premium n’ont pas ce problème par exemple, mais des maisons intermédiaires historiques se sont vues bousculer et parfois tomber en ne réalisant pas suffisamment tôt la bascule, ou en étant trop optimistes au sortir du Covid. Entre décisions d’investissement stratégiques risquées, d’attentisme ou de freins sur le digital notamment, nombre d’entre elles ont fait faillite ou subissent des redressement.
Un autre problème, est l’offre complètement délirante, la surproduction qui engendre une surconsommation… Je me suis interrogée sur la pertinence d’une ligne balnéaire en série ; ne doit-on pas réfléchir à ce que l’on produit et comment en vient-on à la consommation responsable ? A-t-on besoin de produire autant ? Les gens sont-ils autant en demande et a-t-on besoin d’avoir autant de stock ? Et dans le même temps, comment peut-on faire pour produire localement ?
J’espère qu’une production relocalisée en France renforcera l’Industrie Textile. Cela prendra du temps, mais je pense que le COVID aura eu cet aspect positif sur l’industrie de la mode : repositionner un peu les cartes pour tout le monde.
Je pense que si la production se relocalise en France, l’industrie textile va se renforcer. Ça va mettre un peu de temps, mais je pense que le COVID aura eu cet aspect positif sur l’industrie de la mode : repositionner un peu les cartes pour tout le monde.
– Fatimata SY, Alumni MOD’SPE (Promo 1996)
Cette année, MOD’SPE fête ses 30 ans. Quels sont vos vœux d’anniversaire pour l’école ?
Étant une ancienne étudiante, je vois vraiment l’évolution de MOD’SPE. Je la trouve très positive. L’école s’est ouverte à de nouvelles formations de plus en plus spécifiques et professionnalisantes avec l’Alternance.
Il y en a pour tous les goûts et pour tous les profils d’étudiants ; autant qu’il y a de diversité d’esprit et de profils dans la Mode. Je crois que c’est ça l’ADN MOD’SPE : pouvoir être soi-même. L’école a démarré avec une formation de chef de produit. Aujourd’hui on peut y étudier le marketing, la communication, le stylisme, la direction artistique et même la Virtual fashion. Proposer de l’alternance, ce n’était pas facile au début mais l’école a su prouver son expertise et sa maîtrise du secteur pour que les entreprises, historiques et nouvelles, lui fassent confiance. L’école continue d’innover et d’évoluer avec son temps, c’est génial. Ce que je souhaite à MOD’SPE, c’est de continuer dans cette direction d’excellence et de rester liée avec les entreprises de l’industrie de la mode. Ce sont les étudiants qui vont faire évoluer les futurs marchés. Et puis que ça continue encore 30 ans !